• Mes élèves sont de petites personnes merveilleuses, toutes différentes, toutes uniques. Avec chacune son caractère, ses joies, ses envies, ses goûts, ses passions, son rythme pour grandir un peu chaque jour. Et elles ont rarement envie de toutes faire la même chose en même temps... 

    Dans la gadoue, la gadoue... ou de la liberté à l'école maternelle

    Jeudi 31 mars, instant de classe...

    Pour une fois, je vais m'attarder un peu sur mes choix pédagogiques. (Même si mes choix ne sont pas aussi passionnants que l'assassinat du deuxième groupe en conjugaison...)

    J'ai une classe maternelle allant de la toute petite section à la grande section, de 2 à 6 ans. Vingt-trois enfants en pleine construction d'eux-même. C'est ma septième année en maternelle multiniveaux et j'ai beaucoup cheminé depuis ma première classe de PS-MS il y a dix ans. Selon mes connaissances en pédagogie, les moyens humains et matériel de l'école, mon expérience des enfants, la pression de la hiérarchie, les modes pédagogiques, mes choix furent d'une manière, puis d'une autre avant d'être ce qu'ils sont maintenant et sans savoir encore ce qu'ils seront plus tard. 

    Je pense que pour un oeil extérieur, ma classe c'est une joyeuse pagaille. Si je tente de définir ma pédagogie ce serait un truc du genre Reggio-montessori-classique-machinchouette à base de truc-bidule de récup. 

    (Vi, j'ai l'art de la définition.)

    Ma classe c'est des jeux libres, du dessin libre, des bricolages libres, des plateaux d'activité en choix libre... en classe, en récré, mes élèves ont le choix de faire selon leur humeur et leurs envies la majeur partie du temps.

    De la liberté à l'école maternelle

    Mars

    Trop fun de jouer dans les flaques et de crapougner dans la gadoue.

     

    De la liberté à l'école maternelle

    Janvier

    inauguration du bac à sable de classe offert par papa Noël

     

    De la liberté à l'école maternelleDe la liberté à l'école maternelle

    avril

    étagères de plateaux d'activité : des activités Montessori, des activités libres...

     

    De la liberté à l'école maternelle

    Mars

    matériel en libre accès et tours de tiroirs contenant des matériaux en accès libre

     

    De la liberté à l'école maternelle

    Dînette, poupées, garage, jeux de construction... que l'on aménage, déménage, réaménage au gré des jeux...

    Sinon, beaucoup de projets lancés en regroupement avec des surprises apportées par Sac-à-malice, des chansons (je suis un vrai Jukebox de chansons du patrimoine, c'est-à-dire que je chante faux en boucle des trucs bien ringards... Vous n'aviez pas remarqué qu'il pleuvait beaucoup cette année ? ), des histoires, des albums, des documentaires...

    Cependant, malgré toute cette liberté, reste des moments plus classique : le sport/motricité/mot-à-la-mode-pour-dire-la-même-chose, j'ai aussi un quart d'heure d'atelier dirigé avec chaque groupe chaque matin (qui sert souvent à faire du langage en petit groupe), ils ont aussi un atelier d'art le matin (l'art, c'est ma grande passion), et l'après-midi les GS ont deux ateliers dirigés, les MS un, et les PS ont un atelier de motricité fine. Je n'arrive pas à lâcher prise totalement.

     

    Mais pourquoi cette liberté? 

    Pour que les élèves construisent leurs pensées, réfléchissent, créent, utilisent leur doigts, travaillent ensemble ou tout seul, découvrent le monde qui les entoure, se construisent chacun à leur rythme.

    L'environnement comme professeur. (©Reggio)

    L'esprit absorbant de l'enfant. (©Montessori)

    Car on n'apprend jamais si bien que quand on a envie de le faire, sur le thème que l'on a choisi. (©jesaispasqui-maisjesuissûrquequelqu'unl'adit)

    Mes élèves (et les vôtres) passent beaucoup trop de temps devant un écran, en découle une passivité, un manque de concentration, de curiosité, des problèmes de langage... assez caractéristiques. (il y a plein de publications sur le sujet, Google est votre ami) Ils manquent cruellement d'expériences sensorielles, manuelles, intellectuelles... Pas bouger, pas faire de bruit, être sage, pas se salir, être assis sur le tapis face à la télé... (Oui, Gulli est mon ennemi! Faut que je vous fasse un article à ce sujet.)

    Les petits ont besoin d'explorer, d'expérimenter, découvrir... Même si vous leur interdisez de faire des expériences (comme de jouer dans les flaques), ils le feront quand même, mais dans votre dos, et ça finira mal, et du coup vous vous épuisez à faire la police. (La liberté a du bon, c'est moins fatigant à surveiller.)

    Bref, cette liberté c'est juste laisser les enfants êtres des enfants.

     

    Mais un enfant peut faire éternellement la même activité ?! 

    Bha oui, c'est l'jeu ma pauv'e Lucette.

    S'il s'acharne dans sa monomanie malgré des incitations/invitations à voir autre chose, c'est qu'il construit quelque chose qui nous échappe. Le forcer n'apporterait rien de bon vu qu'il n'est pas disponible pour autre chose que sa monomanie. 

    Oui, j'ai un élève qui a passé des mois à ne faire que du dessin, un autre a brossé la table pendant une semaine, une autre étale avec énergie de la colle pendant des heures... Mais ils finissent toujours par passer à autre chose, posément, librement, en étant allé au bout de leur activité.

     

     

    Mais ils vont se salir!!!

    Bha oui, et alors? 

    De la liberté à l'école maternelle

     

     

    Il y a de l'eau et du savon à l'école (en accès totalement libre), et puis ils ne se salissent pas tant que ça, pas tellement plus que quand on leur interdit de toucher à tout et qu'ils le font dès qu'on a le dos tourné.

    L'hygiène c'est se laver, pas ne pas se salir. wink2

    Et puis, à quoi ça sert d'avoir des vêtements si on ne peut rien faire dedans? (©Petit Bateau)

     

    Mais ça va mettre la pagaille!

    Oui, et alors? 

    De la liberté à l'école maternelle

     

    Il y a a disposition de quoi nettoyer : pelles, balayettes, balai, plumeau, éponges, torchons, poubelles... A la condition de l'exiger et de l'enseigner (le ménage, ce n'est pas inné), les élèves apprennent très vite à ranger et nettoyer leur propre saleté, à mettre à la poubelle papiers et autre matériaux réduits à l'état de déchets... Et, bien sûr, les adultes de la classe les aident et montrent l'exemple.

     

    Mais quelle gâchis de matériel!

    J'ai la chance d'avoir un  budget de classe plutôt confortable et je fonctionne beaucoup sur la récup. La classe consomme une quantité colossale de papier, j'en récupère partout où je peux.

    Et puis, ce n'est que rarement gâché, l'élève apprend, expérimente... c'est bien ça le but, pour ça que j'ai des sous, non?

      

    Mais ils doivent se chamailler en permanence ?!

    Eh bien non. 

    Il y a la règle du quart d'heure (c'est une moyenne, chez les petits ce temps est plus de 5 à 10 minutes), mettez les élèves en jeux libres (avec assez de matériel pour que tous aient quelque chose dans les mains) : 

    -premier quart d'heure : chacun découvre, se décide, joue plus ou moins dans son coin.

    - deuxième quart d'heure : chamailleries et conflits : chacun voit les limites de son jeu, veut celui du voisin, conflit de matériel, d'espace... 

    - troisième quart heure et plus : les jeux s'organisent, des groupes de se forment, on se décide, une dynamique s'installe. 

    De la liberté à l'école maternelle

    Bon, ce ne sont que des temps approximatifs, hein, mais le jeu libre suit en général cette évolutionAlors oui, il va y avoir des conflits, mais passé une phase, il y en aura beaucoup moins, une ambiance de jeu, c'est une dynamique qui se met en place, une machine qui démarre avant de tourner.

    Par contre, il faut qu'il y ai de quoi faire: deux poupées, une mini dînette, un pot de feutres et un circuit voiture... pour vingt (comme je l'ai vu dans certaines écoles) : ça va être la guerre très vite! Les enfants ne peuvent pas s'organiser car il n'y a pas assez pour que tous puissent vraiment jouer en même temps.

     

     Mais ils ont le droit de faire n'importe quoi, c'est l'anarchie !

    Non.

    Il y a une nuance entre la liberté et faire n'importe quoi.

    Déjà il y a la base : ne pas taper, ne pas faire mal, ne pas insulter, ne  pas crier, ne pas dire de gros mots, ne pas détruire... hein, c'est la base de la collectivité. Ma classe n'est pas une zone de non-droit.

    Puis « ma liberté s'arrête ou commence celle d'autrui ». 

    Et puis il y a les règles d'utilisation du matériel : 

    - J'utilise alors je range quand j'ai fini.

    - Je salis alors je nettoie.

    - Je ne prends pas des mains.

    - Je n'ai le droit de prendre qu'une activité qui est rangée à sa place.

    - Je ne marche pas sur les tapis. (Pour s'installer par terre, il y a des petit tapis à disposition.)

    - Je marche en faisant attention aux autres. 

    - J'utilise les activités qui sont sur les plateaux en respectant l'utilisation qui m'a été expliquée.

    - Pour le bac à sable : pas plus de deux enfants, si on fait tomber du sable à côté on nettoie et on change de jeu. (sinon, il y a du sable dans toute la classe et le sol devient une patinoire...)

    - etc.

    Sinon, pendant les temps libres, les élèves utilisent le matériel librement, pas besoin de me demander pour prendre un plateau, aller regarder les livres, prendre des feuilles, des crayons, du scotch, de la colle, pour aller aux toilettes (elles sont attenantes à la classe, et en cas de besoin d'aide, il faut qu'ils préviennent l'atsem avant d'y aller), pour aller se moucher, pour aller prendre de l'eau au robinet, pour se laver les mains, pour aller boire, pour aller fourrer mettre son dessin dans son sac...

    Chacun vit sa vie, s'organise, des groupes se forment, l'entraide s'installe... la classe bouge, respire, bourdonne d'activité : c'est une ruche en plein travail.

     

    Mais ils n'en profitent pas? 

    Profiter pour faire quoi? Jouer au robinet et inonder le sol ? Vider la boîte de mouchoirs ? Voler du matériel? Jouer dans les toilettes? Tout mélanger sur les plateaux ?  Mettre de la colle partout? ... 

    Et bien non, pas vraiment. Ce type d'incident existe mais ils sont rarissimes (cela arrive moins que dans une classe où tout est interdit car il n'y a pas l'attraction de la transgression de l'interdit). J'ai confiance en eux, ils sont beaucoup plus responsables qu'on l'imagine. 

     

    Mais tu as des élèves parfaits dans ta classe!

    Ben non. 

    J'ai des élèves de deux, trois, quatre, cinq, six ans, des élèves avec des troubles du comportement, handicapés avec ou sans AVS, dys-machin ou dystruc, etc. Bref une classe maternelle normale. 

     

    Ce n'est pas toujours triste, ça ne tourne pas toujours rond, parfois c'est épique (hum, le plateau de semoule qui tombe, puis celui d'eau, puis la boîte de perles...), parfois électrique (hum, la pleine lune avant Noël un jour de pluie...), mais ce ne sont que des enfants, ils apprennent, ils sont là pour cela, et moi je suis leur guide.

     

    Mais alors tu t'assois à ton bureau et tu ne fais rien ?!

    Ben non, c'est idiot comme idée.

    Déjà il faut faire respecter les règles de vie et garder un oeil sur les divers espaces de la classe. J'ai certes confiance en eux mais je ne suis pas naïve et idiote, l'air de rien, je surveille.

    Ensuite, je propose et présente les plateaux individuellement.

    J'observe les activités et les élèves, pour voir où ils en sont des apprentissages, ce qui les intéresse...

    Parfois je joue avec eux, lis un livre avec un groupe, chante une chanson à d'autre.

    Je répare, ré-approvisionne, aide...

    Je prends aussi beaucoup de photos pour mettre dans les cahiers de vie.

    Et surtout je suis le grand Manitou. Certes l'environnement est un professeur, mais c'est moi qui crée cet environnement en fonction de mes observations, de mon but, de l'ambiance de la classe... 

    Je n'ai pas une minute à moi!

     

    Et les programmes ?

    Eh bien, je suis le grand Manitou, j'ai aussi un peu de bouteille du coup je sais où je vais, ce que je veux, alors j'organise l'environnement pour favoriser tel ou tel aspect des apprentissages, encourage les élèves dans telle ou telle activité.

    Selon les nouveaux programmes de la maternelle, mes élèves ont bouclé les attendus de leur classe d'âge depuis un mois environ... 

    Ben vi, la liberté ça a du bon, on n'apprend jamais aussi bien que quand on est prêt et qu'on veut le faire.

     

    Mais comment tu les évalues?

    Facile : je ne les évalue pas. 

    Pas de livret d'évaluation de cinquante pages en huit nuances d'étoile dans ma classe, ni remplit pas moi et ni par les enfants. Mes élèves ont mieux à faire que de se situer pluri-quotidiennement dans leurs apprentissages et par rapport aux autres, ils travaillent ardemment à grandir.

    C'est déjà bien assez.

    Je suis un guide, pas un gendarme qui établit des PV, ni un juge qui sanctionne.

     

    Mais alors c'est une garderie!

    Ben non. J'enseigne et mes élèves apprennent.

    J'observe mes élèves, je sais où ils en sont, ce qu'ils font, leurs points forts, leurs faiblesses... de là je crée, propose, construis, organise dans le but que mes élèves maîtrisent les compétences des programmes... entre autre.

    Et puis si jeu = garderie, école = ?   

     

    Et les parents?

    Très peu de retour en fait, mais aucune critique sur mes méthodes ne m'a été remontée. Certains sont un peu perdus, surtout s'ils ont eu des aînés passés dans une classe traditionnelle avec fiches et ateliers tournants, mais ils avouent voir leur enfant évoluer et apprendre, c'est le plus important.

     

    Et les collègues ?

    Je n'ai pas de collègue de maternelle. Les collègues d'élémentaires se mêlent peu de ma pédagogie, je les adore pour cela! 

     

    Et l'inspection ? 

    J'évite de parler de mes choix et de mon organisation qui ne sont pas du tout dans l'air du temps. (Nous sommes dans l'air de l'hyper-contrôle et de l'évaluationnite aiguë. On se fiche de ce que l'on fait, il faut évaluer, contrôler, lister, classer...)

     

    Et l'ATSEM ?

    Alors il faut vraiment bien présenter le concept et être très pédagogue, car c'est déstabilisant pour elle, la classe se salit vitesse grand V, il y a cette impression de pagaille et d'anarchie, il faut accepter de laisser faire et de ne pas tout contrôler.  

    Dur dur à faire accepter, à faire respecter.

     

    Mon bilan actuel 

    Mes élèves sont autonomes, curieux, actifs, maîtrisent les compétences des programmes. Ils ont le sourire et semblent heureux de venir à l'école.

    Bref, d'après moi, ça roule.

     he

     

     

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